Accueil A la une Haykel Mekki, président de la Commission des finances à l’ARP, à La Presse : « L’Etat s’effrite à vue d’œil »

Haykel Mekki, président de la Commission des finances à l’ARP, à La Presse : « L’Etat s’effrite à vue d’œil »

Alors que la Tunisie traverse une crise multidimensionnelle, renvoyant à un blocage politique et à une mésentente entre les trois présidences, c’est la situation économique du pays qui inquiète le plus. Le député du bloc démocratique et président de la commission des finances à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Haykel Mekki, n’y va pas par quatre chemins pour le dire, l’Etat s’effrite à vue d’œil. Interview.

La crise politique dure depuis plusieurs mois, comment sommes-nous arrivés à cette situation de blocage ?

La cause principale de ce que nous vivons actuellement n’est autre que le système politique défaillant adopté en 2014. Ce régime distribue le pouvoir jusqu’à sa dilution, pas de prérogatives claires et délimitées pour les deux têtes de l’Exécutif et pas de prérogatives, carrément, pour le président de l’ARP. Ce qui a renforcé cette crise, c’est le système électoral qui rend légitime le détournement de la volonté de l’électeur tunisien. Ceci passe par le chaos médiatique, par le financement des partis et par l’interférence entre le travail associatif et politique. A tout cela s’ajoute l’hégémonie exercée depuis la révolution par le parti Ennahdha sur la scène politique avec une mentalité de secte et d’organisation. 

Sauf que nous avons l’impression que l’actuelle crise politique est devenue personnelle. Qu’en pensez-vous ?

Pour nous, ce n’est pas un conflit de nature personnelle, c’est beaucoup plus profond que cela. C’est un conflit de visions, car la présidence de la République est du côté des classes défavorisées alors que le gouvernement et sa ceinture sont sous l’emprise d’une oligarchie qui contrôle le pays. C’est un gouvernement qui a choisi de servir les intérêts des lobbies et d’être sous la mainmise de certains groupes d’influence et certaines parties étrangères. Nous pensons que la situation est devenue très dangereuse en Tunisie et ceci est dû aux politiques de l’actuel gouvernement et de sa ceinture politique.

Ce gouvernement a décidé de lever les subventions des produits de base sans aucune visibilité et sans aucune prévention de la situation sécuritaire. Le gouvernement Mechichi joue avec le feu, car il ne connaît pas assez l’histoire des crises en Tunisie. On commence déjà à parler d’une commission de gestion de la dette nationale, c’est une ingérence dans les affaires internes du pays.

Pensez-vous que l’initiative de l’Ugtt pourra résoudre en partie la crise ?

Je pense que nous avons dépassé ce processus. L’Ugtt évoque même une grande confrontation pour défendre la souveraineté du pays. La centrale syndicale va passer à l’action et ne trahira jamais son peuple. Le dialogue national oui, mais avec qui ? Pourquoi et comment ? Le seul sujet de ce débat doit être l’intérêt du peuple et de la Tunisie. Ils sont en train de faire un passage en force pour lever les subventions, or leur seul intérêt c’est de servir les lobbies. Aujourd’hui, même la classe moyenne nécessite ces subventions, même un directeur général dans un ministère nécessite la subvention des produits de base.

Nous pensons qu’il faut rationaliser ce système en optant pour les nouvelles technologiques, car aujourd’hui, un fonctionnaire public est appauvri. Cette question intéresse tout le monde, car la majorité des Tunisiens nécessite la subvention des produits de base.

Peut-on dire, donc, que cette initiative est mort-née ?

Le dialogue national tel que conçu vise à sauver le mouvement Ennahdha et le gouvernement de leurs crises face au peuple. Ils veulent un dialogue national à l’ancienne pour sortir de leur crise et non pas la Tunisie de cette situation. Nous sommes pour un dialogue sans lignes rouges et sans parties corrompues, avec la participation des forces nationales et sous l’égide du Président de la République.

Nous n’avons émis aucune réserve sur n’importe quelle partie. Ce qui nous intéresse, ce sont plutôt les visions. Par exemple, les visions d’Ennahdha et d’Al-Karama sont ultralibérales sous une couverture politique, ils visent l’Etat tunisien et sa souveraineté.

La chute du gouvernement Mechichi est-elle une solution d’après vous ?

Ce gouvernement est fini. Quand il y aura un dialogue, ce gouvernement sera une carte de négociation aux mains d’Ennahdha. Il a perdu toute légitimité populaire en raison de ses choix politiques.

Venons-en à la situation économique. En tant que président de la commission parlementaire des finances, comment évaluez-vous la situation ?

Tout simplement, il existe une très profonde crise économique et financière en Tunisie. Pour être honnête, le gouvernement Mechichi n’est pas responsable de cette situation, car on parle d’une décennie de mauvaise gestion. Ses causes remontent même aux années 70’, nous avons perdu tous les acquis du pays, notamment en matière de production, de santé, d’éducation, de finance, etc. Nous avons perdu l’espoir de bâtir ce pays. C’est une crise économique structurelle renforcée par la crise politique. Notre économie est une économie de rente qui ne peut pas créer des richesses. Nous avons besoin de braves hommes et femmes pour conduire cette étape et opérer les choix stratégiques nécessaires. Nous devons définir le rôle social de l’Etat. L’Homme doit être au centre de tout programme ou réforme économique.

Le spectre de la faillite de l’Etat plane-t-il toujours sur la Tunisie ?

Certainement, si on va continuer dans l’application de telles politiques, s’endetter sans aucune vision, sans aucune politique financière et continuer à être le bon élève de l’Europe, avec une telle gestion politique de l’Etat, l’Etat s’effrite à vue d’œil. Le scénario libanais est devant nous.

Le Mouvement du peuple considère les récentes augmentations des prix comme une déclaration de guerre contre le Tunisien. Faut-il craindre le pire quant à la situation sociale ?

Certainement, c’est une agression commise par le gouvernement et sa ceinture politique contre le peuple tunisien qu’ils ont appauvri. Dix ans de mauvaise gestion du pays font que les Tunisiens mangent dans les poubelles. De quel Etat, de quelle appartenance, de quelle politique parle-t-on ? La situation est dangereuse, toutes les parties doivent assumer leurs responsabilités. Le mouvement Ennahdha a dit ignorer de telles augmentations alors qu’il a voté pour dans le cadre de la loi de finances. Ils sont en train de prendre les Tunisiens pour des imbéciles.

Avez-vous un projet économique pour le pays ? Etes-vous l’alternative ?

Absolument. Nous avons un projet économique centré autour du citoyen. Nous pensons que l’Etat tunisien doit reprendre son rôle social tout en s’ouvrant sur l’entrepreneuriat. Nous appelons à un capital économique loin de tous les tiraillements politiques et loin des lobbies. Notre projet mise sur le principe de l’équité fiscale pour promouvoir le sens de la citoyenneté. En tant qu’Etat souverain, nous pouvons adopter une meilleure position dans les négociations avec les bailleurs de fonds et aller vers de nouveaux partenaires. Nous avons toute une conception, car nous pensons que la solution est à l’intérieur du pays, nous avons des richesses, mais tout le peuple tunisien doit faire des sacrifices.

Ce conflit politique avec Ennahdha peut-il mener le pays vers une nouvelle dictature, notamment à la lumière de la bipolarisation ?

Nous mettons en garde contre cette situation de bipolarisation. Les Tunisiens doivent se diriger vers le centre, car c’est là que se trouvent les programmes sociaux en sa faveur. On ne peut pas continuer dans une telle situation. Sauf que médiatiquement et financièrement, ces partis sont très forts et sont soutenus par des forces internationales. On ne doit pas tomber dans la dictature, nous avons vu ce qui s’est passé malheureusement.

Ghazi Chaouachi a appelé au changement du président du bloc démocratique. Qu’en pensez-vous ?

Dans le bloc démocratique, Echâab détient la présidence de la commission des finances alors qu’Attayar celle du bloc durant cette année parlementaire. C’est une affaire qui les concerne, la prochaine année on va inverser, nous allons nommer le chef du bloc démocratique.

Peut-on toujours parler de la motion de censure contre Rached Ghannouchi ?

Parmi les solutions de cette crise, c’est le départ de Rached Ghannouchi. Il a transformé son poste en moyen pour s’attaquer au président de la République. Il est en train de tout manipuler pour mettre sa main sur le Parlement, il doit partir. Qalb Tounès doit jouer son rôle devant le peuple, car il ne reste que quelques voix à collecter.

L’affaire Nabil Karoui marque encore une fois une interférence entre politique et justice. Comment protéger l’indépendance de la justice en Tunisie ?

J’étais l’avocat de Nabil Karoui, ce citoyen tunisien doit jouir de tous ses droits à un procès juste et équitable. Personnellement, je pense que les crimes financiers ne doivent pas être sanctionnés par des peines d’emprisonnement. Sauf que nous dénonçons toute atteinte à l’appareil judiciaire.

Qu’en est-il du projet de loi incriminant la normalisation ?

Il est sur la table de la commission interne du Parlement, on attend toujours sa présentation à une plénière, c’est une question fondamentale pour nous.

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